D’un simple clin d’œil
Par Thomas Burnet
Je me souviens d’une soirée passée à Sèvres. Une amie m’avait proposé un concert au SEL. Le concert commençait à 21h00, mais comme d’habitude, j’étais venu une heure en avance. Je me souviens d’un parc à côté de la salle. Un petit parc avec de la pelouse, des fleurs, des gravillons.
Je rêvais dans ce parc, observant la Tour Eiffel « papilloter », lorsque je sentis une présence derrière moi. Lorsque je me retournai, je ne vis personne. Tous les vieux clichés me revinrent en mémoire : le meurtrier qui est tapi dans l’ombre, le copain qui essaye de vous faire peur…
Mais non, ce n’était pas un cliché. C’était un garçon. Je le vis en m’approchant d’un banc où j’avais distingué une forme. Un garçon qui était à la fac où j’allais : il n’y avait que lui pour avoir un sac vert avec marqué dessus : « Cobain is dead, Kurt is alive. » Je l’avais déjà aperçu en cours d’Histoire Contemporaine. Je crois qu’il suivait un DEUG de Sociologie.
Il semblait ne pas bouger, être immobile, arrêté. Je contournai le banc comme pour aller vers le SEL. Quand je pus voir son visage, je m’immobilisai à mon tour : un silence de mort y régnait, rien ne bougeait. On aurait pu le croire mort, mais sa poitrine se soulevait régulièrement.
Je ne savais pas quoi faire, il avait la tête un peu baissée, les yeux fermés et ses cheveux emmêlés me confirmèrent son identité. Ses jambes étaient tout aussi immobiles et il croisait les tibias. Sa main gauche reposait sur sa main droite au niveau de son ventre, comme dans une position de yoga…pour atteindre le bien-être.
L’éclairage public se mit en marche, les lumières se répandaient sur l’avenue comme le feu qui court le long d’une traînée de poudre. Le plus surprenant se révéla alors à mes yeux : son visage n’était pas commun, la peau de ses mains ne ressemblait pas ………à de la peau ! On aurait dit une matière fragile, qui reflétait la lumière comme une assiette le fait. On aurait dit du verre ! Mais c’était trop coloré pour être du verre. On aurait dit de la porcelaine...
Inquiet, je regardai autour de moi, la ville continuait de vivre comme si de rien n’était : la femme en vert promenait son caniche noir, les gens dans le 171 rêvaient d’être déjà rentrés chez eux, les premiers fans de Thomas Fersen se pressaient à l’entrée du SEL, le monsieur ramenait ses courses chez lui. Rien ne différait du déroulement constant de la vie de tous les jours : il y avait un garçon en porcelaine dans un parc et tout le monde courait faire sa vie.
Hésitant, tremblant, j’approchai une main de celles du garçon. Le contact fut décisif, mes nerfs sensoriels étaient catégoriques : je ressentis un froid vide de vie. Je restai quelques minutes ainsi, ne sachant ce que je devais faire. Mais plus ma main était en contact avec celle du garçon, plus la porcelaine semblait devenir molle. Le visage du garçon se redressa lentement et je découvris une larme le long de sa joue, une larme mauve.
La porcelaine devenait de plus en plus molle, le contact était plus chaud. Les yeux du garçon s’entrouvrirent et je découvris un iris blanc. Il n’y avait dans ses yeux qu’un trait rond qui dessinait le contour de la pupille. Sa bouche s’entrouvrit aussi, dans ce mouvement d’automates des vitrines des grands magasins à Noël. Alors que je sentais qu’il allait me parler, un bruit violent vint de l’avenue, le bruit d’un accident. Je relevai la tête, courus vers l’avenue et découvris une scène d’horreur : il y avait quatre voitures les unes dans les autres, les gens criaient, les enfants se cachaient les yeux, le feu prenait, tout le monde courait : tout était déréglé. Une voix vint à mon esprit : « J’ai échoué ». Quand je me retournai vers le parc, le garçon en porcelaine avait disparut.
*
« - Dis-moi papa, est-ce que les gens peuvent être en porcelaine ?
- Qu’est-ce que tu me racontes Théo ? Bien sûr que non. Les gens sont faits de chair.
- Mais imagine que quelqu’un se transforme en porcelaine…
- Ecoutes-moi bien : un homme ne peut pas être en porcelaine ! Tu sais ce que c’est que la porcelaine ?
- Ben, pas exactement…
- La porcelaine, c’est un produit céramique. Elle est généralement faite à partir de pâte fine, elle est translucide, vitrifiée et recouverte d’une glaçure incolore. Tu as déjà vu une personne recouverte d’une glaçure incolore, vitrifiée et translucide ?
- Non…… mais si jamais…
- Ecoute ce n’est pas possible. La porcelaine, c’est de la terre qui est cuite ! C’est un mélange, je crois, de kaolin, de feldspath et de quartz, mais peu importe : c’est de la terre qu’on met ensemble et qu’on fait cuire ! Tu veux me faire croire qu’on peut fabriquer quelqu’un de cette façon.
- Non, c’est vrai… »
*
En revenant à la fac, le lundi suivant, j’attendis avec impatience le cours d’histoire contemporaine, pour vérifier si le garçon que j’avais vu sur le banc à Sèvres était bien le même que celui qui était à la fac. Après une matinée bien ennuyeuse et une heure de déjeuner interminable, nous entrâmes dans l’amphi 1 pour notre cours de l’après-midi.
Je scrutai chaque élève entrant dans la salle et j’étais étonné de ne pas voir le jeune homme que je cherchais. Le cours commença et mon énigme n’était toujours pas résolue…
Au moment où nous abordions le coup d’Etat de 1851, la porte de l’amphi s’ouvrit et le garçon entra… Il avait les cheveux ébouriffés, il portait le même manteau, et quand il se tourna pour poser ses affaires, je pus lire sur son sac : « Cobain is dead, Kurt is alive. »
Il paraissait être comme tous les autres étudiants, il était fait de chair humaine, et se comportait normalement. Je ne comprenais toujours pas comment est-ce que j’avais pu le rencontrer sur un banc de Sèvres, transformé en personnage de porcelaine. C’était illogique…
Je décidai de profiter de la pause de dix minutes au milieu du cours de trois heures pour en savoir plus. Je m’approchai donc de sa rangée.
Le garçon discutait avec trois autres étudiants de son groupe de TD. Je m’assis au rang juste au-dessus d’eux et écoutai tout en faisant semblant de lire le journal de la fac ; ils parlaient du week-end, mais c’était un autre garçon qui racontait son samedi soir qui semblait avoir été très animé… C’est grâce à une fille de ma section que j’eus une réponse à mes questions : elle se dirigea vers le garçon aux cheveux ébouriffés, et lui demanda pourquoi il n’était pas venu à la soirée qu’elle avait organisée vendredi soir. Il répondit alors qu’il avait passé sa soirée à dormir : il était tellement fatigué en rentrant de cours qu’à 19h, il avait craqué et s’était couché.
Et donc, au moment où je le rencontrais sur un banc de Sèvres, il dormait…
*
« - Théo, pourquoi t’étais tout dur l’autre jour ?
- Pourquoi j’étais tout dur ? Ca veut dire quoi ?
- Ben l’autre jour, quand je descendais la rue de la Monesse, parce que je revenais de chez Sandra, et bien je t’ai vu sur le trottoir : tu bougeais pas, t’étais tout dur et tout blanc. Même que je t’ai parlé et que tu ne m’as pas répondu !
- Mais qu’est-ce que tu racontes ? Tu dois confondre…
- Non, c’était samedi midi, et c’était bien toi, je t’ai reconnu parce que tu portais un des T-shirts débiles de ton frère ! Et puis en plus, j’ai bien failli avoir un accident ! En descendant vers l’Avenue Roger Salengro, ben y’a le pont de chemin de fer qui s’est écroulé devant moi… J’ai eu très peur !
- C’est pas possible parce que samedi, entre midi et deux heures j’ai fait la sieste !
- Pas vrai ! Et si tu continues à mentir comme ça, je vais le dire à la maîtresse !
- Non, vas-y, fais pas ça ! Mais c’était pas moi……… »
*
Moi, Eric, je suis quelqu’un de rationnel ! Et cette histoire de garçon de porcelaine, qui est manifestement une construction de mon esprit, ce n’est pas rationnel. Alors à peine une semaine après avoir eu l’information qui me tracassait, je n’y pensais presque plus.
C’est un mercredi soir que cela réapparu : j’étais allé à un concert dans le coin de Pigalle. C’était Jimmy Eat World. Un bon groupe pour une bonne soirée. Tellement bonne que je décidai de rentrer à pied jusqu’à la gare St Lazare. Je descendis donc la rue Lallier, pour arriver sur la rue Victor Massé, rue très connue de tous les musiciens pour la multitude des magasins d’instruments qui la peuplent. Je descendis cette rue l’esprit léger, le soir venait de tomber, il y avait de la fraîcheur dans l’air. Ensuite, un défilé de rues : rue de Douai, rue Mansart, rue Blanche, rue Moncey et rue de Liège. Pour aboutir à la place de l’Europe. Là, alors que je commençai à me diriger vers la gare SNCF de Saint Lazare, je fus interrompu par un sanglot. Un sanglot presque inaudible.
Il venait de l’abribus de la place. En plissant les paupières, je pus distinguer une forme sur le banc en plastique dur. C’était plus précisément une silhouette. Je m’approchai à grands pas, lorsque je m’aperçus que c’était une fille. Elle était assise sur le banc, les coudes sur les cuisses, le visage dans les mains, les cheveux tombant sur ses mains. J’avançai encore un peu, j’étais à quelques mètres, lorsqu’un détail me surprit : je pouvais voir ses bras ; ils me paraissaient, à la lumière de l’abribus, bien blancs. Je me retrouvai bientôt face à elle. Le mystère devenait trop entier et mes questions devaient trouver des réponses.
Je m’agenouillai et écartai ses cheveux de ma main droite. Je posai ma main gauche sur ses mains. La sensation était telle que je le pensais : froide, dure.
Elle eut un tremblement, et baissa doucement ses mains. Elle prit les miennes et les serra. Ses mains étaient étranges : au blanc limpide de la porcelaine se mêlait du mauve ; elles étaient comme humides. Elle leva doucement la tête, ses yeux étaient blancs, seule la pupille était dessinée par un trait noir. Sur son visage aussi coloré de mauve, je voyais des larmes naître de ses yeux.
Ses mains devenaient de plus en plus molles, de moins en moins froides. Je vis du noir apparaître au centre de ses yeux. Puis, comme dans ces films où le fantôme disparaît, elle s’estompa peu à peu. Je sentais la pression autour de mes mains se relâcher, elle disparut devant mes yeux et j’entendis dans un murmure : « J’ai échoué »…
J’étais encore accroupi devant cet abribus vide, quand une voix s’éleva de la gare Saint Lazare, en dessous de la place : " Mesdames et messieurs, suite à un accident de personne en gare de Saint Lazare, le trafic est momentanément interrompu…"
*
« - Dis, Papa, est-ce qu’on peut être tout dur ?
- Tout du… QUOI ?!
- Ben, je me demandais si c’est possible que quelqu’un devienne tout dur. Par exemple, tu marches dans la rue et tu vois quelqu’un, mais son visage, ses mains, ses jambes sont tout durs…
- Tu as vu quelqu’un de tout dur dans la rue ?
- Ben non, je me demandais… parce que je connais quelqu’un à qui une fille a dit : « Pourquoi t’étais tout dur l’autre jour ? »
- Et bien cette fille a raconté des bêtises à ton ami. C’est bien simple, on ne peut pas être dur !
- T’es sûr ?
- Bien entendu ! Si je te le dis… »
*
Je pense que mon frère a lu mon journal intime : il pose des questions bizarres à mon père. Des questions du genre : « Est-ce qu’on peut être de porcelaine ? »,
« Est-ce qu’on peut être dur ? » A moins que lui aussi ait rencontré quelqu’un comme ça, je pense que mon frère fouille un peu trop dans mes affaires ; il faut que je le surveille.
J’ai croisé la fille de l’autre fois. La fille de porcelaine. Sauf qu’elle avait l’air d’une fille normale. Elle était assise au fond du 171, dans ces nouveaux sièges en demi-cercle. Après être monté, je l’ai aperçu ; je ne pouvais que la reconnaître : elle était assise au milieu du demi-cercle, la tête un peu penchée, comme ce mercredi-là… Alors je suis allé m’asseoir sur un des sièges. Je l’ai regardée pendant tout le trajet. J’étais un peu comme hypnotisé : elle avait tenu mes mains de chair dans ses mains de porcelaine, elle avait pleuré face à moi, et, dans ce bus, elle ne me voyait pas.
Quand on vous dévisage, vous le sentez. Elle a senti mon regard. Elle a levé la tête du livre qu’elle lisait et m’a regardé. Elle avait les mêmes traits du visage, elle avait le même nez, la même bouche. Le blanc de sa pupille s’était noirci et son iris avait pris une coloration bleue qui avait des allures de vert. Je lui souris. Elle me rendit ce sourire et replongea dans son livre.
Je crois qu’à cet instant, je suis tombé amoureux d’un ange…
*
« Papa, je vais me coucher.
- Déjà ? Mais il n’est que 19h30 !
- Je sais mais je suis très fatigué.
- Et le film que tu voulais voir ? Tu n’as pas école demain…
- Je sais, mais j’ai très envie de dormir.
- Tant pis. Je dirai à Eric de ne pas faire de bruit avec la porte ; il va au cinéma ce soir.
- Merci. Bonne nuit. »
*
J’allais au cinéma ce soir-là. Mais pas pour voir un film. Pour sortir, pour respirer un peu. Et peut-être la revoir : elle était descendue à l’arrêt devant le SEL. Je n’avais pas osé la suivre. J’étais resté dans le bus, la fixant jusqu’à ce qu’elle disparaisse au coin d’une rue dont je ne connaissais pas le nom…
Je ne sais plus très bien ce que j’espérais ce soir-là. J’étais à mon point de départ. Trois semaines après mon premier contact avec un être de porcelaine, je revenais au petit parc à côté du SEL. La Tour Eiffel allait bientôt scintiller à nouveau… il était 19h59.
Les gens couraient encore. J’avais presque l’impression qu’ils ne s’arrêteraient jamais. Vous savez, c’est comme cette phrase : « Métro - Boulot - Dodo ». Les mêmes mouvements répétés chaque jour : le même bus, la même place, les mêmes courses, les mêmes vêtements, les mêmes angoisses, les mêmes peurs, la même fatigue… la même fille. Elle venait d’apparaître de la rue où elle avait disparu la dernière fois. Elle semblait rêver en marchant, posant un pied devant l’autre avec délicatesse, grâce, presque fragilité.
J’étais subjugué. Je croyais vivre un rêve. La fille dont j’étais tombé amoureux marchait là, de l’autre côté de la rue. Il fallait que j’aille lui parler.
Il me fallait sortir du petit parc. Alors que je traversai la pelouse à quelques mètres du banc de la dernière fois, je sentis un regard se poser sur moi. Pas un regard observateur, un regard protecteur. Mais j’étais trop pressé pour lui accorder une once de mon attention. J’en viens même à me demander si je l’avais vraiment senti…
Je me suis approché de la chaussée. Je voulais traverser par le rond-point. Mais le feu des voitures était vert, et la fille avançait. Je me suis glissé entre deux voitures jusqu’au centre. L’éclairage public s’est alors mis en marche.
Je jetai un coup d’œil rapide à la circulation : une voiture et un bus en vue. Mais à une trentaine de mètres. Juste le temps de passer. Pour rejoindre cette fille. Au moment où je soulevai mon pied, j’entendis une voix. Une voix légère, douce, chaude, amicale. Cette voix dit tout simplement : « Hé ! ». Je me retournai vers le parc. Mais mon esprit fut immédiatement rappelé à l’ordre : je sentis un courant d’air fort passer devant moi ; de derrière la voiture, une moto avait déboîté. Elle venait de me passer devant le nez. Elle aurait dû me faucher…
Je laissai passer la voiture et le bus, puis, je m’engageai sur la voie et finis de traverser la rue. Mais c’était trop tard, la fille avait disparu. Je pensai immédiatement à l’Escalier St Louis, mais avant de l’y suivre, je me suis retourné vers le parc, et il m’a semblé distinguer une forme blanche s’effacer. N’avais-je pas senti une présence en passant à côté du banc ? …
*
« Où suis-je ?
- Tu es entre le sommeil et le rêve, Théo. Tu es à l’endroit où les êtres de porcelaine se réunissent.
- Les êtres de quoi ?
- Les êtres de porcelaine. Regarde autour de toi… »
Théo s’aperçu qu’il avait les yeux fermés. Il les ouvrit et contempla. Il était en bas de la rue de la Monesse. C’était un début d’après-midi normal. Le soleil brillait. Mais il régnait un calme étonnant à ce croisement : pas de voitures, pas de trains, pas de piétons. Pas de piétons ? Il entendit un bruit de pas. Il se retourna et vit une fille qui marchait. Mais ce n’était pas n’importe quelle fille : elle était toute blanche. Blanche comme les pages d’un cahier neuf. Elle déambulait calmement. Comme si tout était normal. En passant près de Théo, elle lui adressa un clin d’œil.
Il la suivit du regard jusqu’à ce qu’elle disparu. En regardant vers la voie ferrée, il vit d’autres personnes comme elle qui allaient et venaient.
Mais sa surprise fut encore plus grande quand il porta son regard sur ses mains. Il les vit blanches, aussi blanches que la jeune fille qui venait de passer. Il voulut toucher son propre bras droit avec sa main gauche, mais il ne sentit rien. Il y eut un petit bruit sec. Comme lorsqu’on cogne deux assiettes. Deux assiettes aussi légères que ses mains de chair.
Il paniqua. Lorsqu’il se retourna vers la rue de la Monesse, il vit une femme qui descendait vers lui. Une femme blanche de porcelaine. Elle avait des cheveux bleu nuit. Ils descendaient jusque dans son dos et flottaient légèrement dans le vent. Elle était vêtue d’une robe turquoise. Ses jambes étaient toutes aussi blanches que son visage ou ses bras.
Il fit un pas en arrière. Il ne comprenait absolument pas ce qui lui arrivait.
« N’aie pas peur Théo. Tout cela est normal. Tu es un être de porcelaine.
- Je suis quoi ?
- Tu es un être de porcelaine. Je sais, c’est étrange. Mais dis-moi, n’as-tu pas le souvenir d’avoir déjà entendu quelqu’un dire : « J’ai failli avoir un accident. Il s’en est fallu de peu. » ?
- Peut-être. Mais c’est quoi le rapport avec moi. Je n’ai que sept ans.
- On ne t’a jamais dit que c’était l’âge de raison ?
- …
- Les êtres de porcelaine sont ce qu’on pourrait appeler des anges gardiens. Ce sont des êtres humains comme les autres. Enfin presque : ce sont des gardiens de vie.
Parfois tu sentiras une envie incontrôlable de dormir. Tu ne pourras plus rien faire d’autre. Alors tu iras te coucher et t’endormiras très vite. Là, une partie de toi partira rejoindre un lieu qui sera toujours différent : une rue, une maison, un avion,… n’importe où sur Terre… Car pour un être de porcelaine, le temps et l’espace n’ont pas d’importance. Il te suffit de penser pour agir.
- Pour agir ? Mais pour quoi faire ?
- Tu as une mission très importante : tu dois sauver les autres êtres humains.
- Sauver les êtres humains ? Mais qu’est-ce que vous racontez ?
- C’est dur à croire… Tu dois venir en aide aux êtres humains qui sont sur le point de mourir par négligence humaine. Mais regarde, tu vas très vite comprendre. Dans quelques instants, une fille va descendre cette rue. Tu la connais, elle est dans ta classe. Si tu n’interviens pas, elle va se faire écraser sous le pont de chemin de fer qui est plus loin. Que vas-tu faire ?
- Quoi ???
- Dépêche-toi, elle arrive… »
Théo vit la jeune fille apparaître au portail qui était tout en haut de la rue.
« - Je ne sais pas moi…
- Souviens-toi que pour l’instant elle ne te voit pas.
- Peut-être je peux la retarder ? En lui faisant un croche-pied ?
- Mais, imagine qu’en tombant, elle se cogne la tête par terre. Ca pourrait être grave.
- C’est pas facile votre truc… »
La jeune fille avait fermé le portail et commença à descendre. Elle était à une trentaine mètres de Théo.
« - Vite, Théo.
- Peut-être que juste si j’apparais, ça la retardera.
- Tu peux, oui…
- Comment on fait ?
- Pense-le… »
Théo ferma les yeux et pensa de toutes se forces qu’il voulait être visible pour la jeune fille. Il se concentrait très fort. Au bout d’une minute, il entendit :
« Théo ! Théo ! C’est moi, Clara ! Qu’est-ce que tu fais là ? … T’as encore mis un T-shirt de Nirvana. C’est débile ces T-shirts, ils me font peur. Hé ho ! Théo ! Qu’est-ce que tu f… Ah ! T’es tout dur ! Qu’est-ce qui t’arrive ? … Mais comment ça se fait que tu restes là ? Et pourquoi t’es aussi blanc ? T’as la grippe ? C’est pas normal d’être tout dur comme ça ! … Bon si tu le prends comme ça, ben je m’en vais ! … Hé ! tu me réponds ? … Tant pis pour toi ! »
Il entendit la fille s’éloigner. Il ouvrit les yeux.
« - Théo…
- Oui, quoi ?
- T’es encore visible…
- Ah oui ! » Il pensa à ne plus être visible. La dame réapparu à ses yeux.
« - Alors, c’est bon madame ?
- Je ne sais pas ; on va voir. Regarde-la, elle descend là-bas. »
Théo aperçu la jeune fille descendre la rue. Elle approchait du pont, quand tout à coup, un bruit de tonnerre se fit entendre. Elle se figea sur place tandis que le pont s’écroulait devant elle.
« - Cette jeune fille est sauvée, Théo. Maintenant, tu vas reprendre ton apparence normale.
- Mais, je dois garder ça secret, c’est ça ?
- Tu n’en garderas pas le moindre souvenir. Tu auras le souvenir d’avoir rêvé, mais tu ne te souviendras pas de quoi… Tu en garderas juste l’inexplicable envie de faire des clins d’œil parfois, aux autres êtres de porcelaine.
- Mais Clara, elle va le dire…
- Personne ne la croira. Ce sera vite oublié.
- Mes mains ! je sens qu’elles chauffent. Elles paraissent moins dures.
- Tu vas bientôt revenir dans ton sommeil. Tu as accompli ta mission. C’est bien. Mais tu en auras d’autres, et des plus dures. Parfois, tu échoueras. Fais alors bien attention de ne pas te laisser emporter par le chagrin. Certains n’ont pas pu revenir à eux-mêmes et en sont morts. Hélas, il n’y a pas d’êtres de porcelaine pour les êtres de porcelaine.
- …
- Au revoir, Théo. A bientôt. »
*
« - Théo, je te présente Anne.
- C’est la jolie demoiselle rencontrée dans le bus ?
- Comment tu sais ça toi ?
- Je le sais, c’est tout ! Bonjour Anne, enchanté. »
Ils se firent la bise. Eric reprit la main de sa petite amie et l’emmena dans sa chambre. Avant de sortir, Anne se retourna vers Théo, et lui adressa le plus joli des clins d’œil…