Envie pressante...

                                                                                            Par Thomas Burnet.

 

Olivier déambulait sans but dans les couloirs du grand hôpital de Paris, sans très bien comprendre pourquoi. Un peu plus tôt, il finissait de lire le chapitre du dernier roman qui le passionnait ( “ encore une ineptie pour enfants ” rabâchait son père quand il le voyait avec un de ces livres entre les mains.) lorsque sa mère avait crié son nom très fort dans les escaliers, avec une voix où se mélangeait un sentiment d’urgence, noyé de tristesse. Il avait fini son chapitre et était descendu d’un air surpris : jamais la voix de sa mère n’avait dépassé les 70 décibels, c’était maintenant chose faite. Il avait pris son manteau, enfilé ses baskets, et suivit sa mère dans la voiture, tout en pensant à glisser le livre dans la poche arrière de son pantalon. Il monta dans la voiture et attendit……

 

Que l’ambulance démarre. Tout tournait autour de lui, mais il savait d’où il venait, où il allait, et ce qu’il avait. Venir, Aller, Avoir. Rien de plus importait pour lui. Paul venait de tomber en plein milieu de sa cuisine une fois de plus, une fois de trop. Marie, la femme de sa vie, avait entendu un bruit, ce bruit qu’elle redoutait tant au cours des 16 heures que son mari passait hors du lit conjugal. Elle avait tapé le 15 sur son clavier téléphonique et laissa les mots glisser hors d’elle, ces mots qu’elle avait tellement peur d’oublier, ou de dire en bafouillant, sous le choc. Quelques minutes plus tard, le son strident de la sirène de l’ambulance lui donna un semblant de réconfort, une once d’espoir sur le futur de son mari. Entre temps, elle avait composé le numéro de téléphone de sa fille, Claudia, en lui donnant rendez-vous à l’hôpital, sans avoir besoin de préciser lequel des hôpitaux parisiens allaient l’accueillir.

Arrivés au parking de l’hôpital, les ambulanciers descendirent la civière de Paul, alors que ce dernier jetant un regard……

 

A l’intérieur de la voiture s’aperçut qu’il venait d’oublier son livre, tombé pendant le voyage. Il se retourna pour demander à sa mère de lui rouvrir la voiture, mais celle-ci venait de disparaître derrière la porte qui menait à l’ascenseur. Ils s’étaient garés au niveau moins 2, à la place G-4. Olivier se dit que c’était une chose à ne pas oublier. Il suivit sa mère par la porte bleue. Elle attendait dans l’ascenseur en tapotant nerveusement des doigts sur la paroi métallique de l’ascenseur. Le “ 5 ” était déjà allumé, c’est à cet étage qu’ils allaient. Olivier regarda la légende qui détaillait les services de chaque étage. En face du 5, il put lire : “  Médecine et Chirurgie des enfants - Accès à la passerelle des Urgences ”. L’ascenseur démarra enfin. Il se demandait où sa mère l’emmenait, mais n’osa la questionner du fait de l’expression de son visage qui reflétait de l’inquiétude, de l’énervement ( probablement envers cet ascenseur qui avait mit tant de temps à se mettre en route ), et toujours cette tristesse qui semblait être le sentiment dominant. Elle semblait mue par une étrange envie pressante. Arrivés au “ 5 ”……           

 

Les ambulanciers se dirigèrent vers le personnel de l’hôpital qui avait été prévenu par radio et qui avait préparé le matériel adéquat pour une intervention de ce genre. Ils leur confièrent le vieil homme, et disparurent du champ de vision de Paul aussi vite qu’ils y étaient entrés, comme s’ils avaient  l’envie pressante d’aller ailleurs.

Ce qui paraissait étrange ; tant aux médecins qu’à Paul lui-même, c’était sa conscience. Il ressentait tout. Il pouvait savoir s’il faisait chaud ou froid, il pouvait entendre les gens parler autour de lui, il voyait des choses, des fois. Des choses bizarres. Il entendait aussi des sons, des fois. Des sons étranges :  il se souvenait avoir vu un livre sur une banquette de voiture, un tableau d’étages dans un ascenseur, le visage de sa fille étrangement tourmenté ; le nom de son petit-fils, crié dans un déchirement soudain ; le bruit d’un moteur de voiture qui démarre, le son d’un ascenseur qui arrive à l’étage… Ses souvenirs, il savait que ce n’étaient pas les siens. Il se demandait juste……

 

            Pourquoi sa mère se dirigeait-elle vers la passerelle des urgences ? Un frisson le parcourut à l’idée de ce que ce trajet pouvait lui faire découvrir. Il suivait toujours sa mère qui marchait toujours trop vite pour lui, elle marchait tellement vite qu’il finit par la perdre au détour d’un couloir : elle était là, et, le temps qu’il tourne la tête vers une affiche sur l’association des “ Nez Rouges ”, qu’il prenne le même virage que sa mère, elle avait disparu. Il s’arrêta, essoufflé. Il observa le couloir sur tout son long, s’avança en face de différentes portes dont certaines donnaient sur des chambres, d’autres sur des couloirs. Mais aucun signe de sa mère. Autour de lui, les gens couraient, tous semblaient devoir obéir à cette envie pressante qui faisait avancer si vite sa mère, au point qu’elle l’avait perdu, ou qu’il l’avait perdu, il ne savait plus très bien, tout se mélangeait. Et avant même qu’il puisse s’en rendre compte……

 

            Il s’était retrouvé dans une chambre individuelle, loin de tous ces gens qui courraient, loin d’une agitation qui, lui semblait-il, ne le concernait plus. Les médecins avaient fini de le tripatouiller, et il se sentait mieux. Il repensa à ce qui lui avait traversé la tête tout à l’heure, sur le sol, allongé dans sa cuisine, à la merci de son corps. Il avait repensé à sa vie. C’est ce fameux flash-back qui est, dans les intrigues romanesques le signe avant coureur d’une mort prochaine. Il avait revu ses parents, ses grands-parents, son chien, sa maison, son père se coupant en fabriquant une boite aux lettres, le mariage de sa sœur, son institutrice de cours élémentaires, le cousin de son meilleur ami, sa femme, sa fille et son fils, Olivier, son petit-fils, et Korde, le cochon d’Inde de ce dernier……

 

            -“ Kurt, papi. Je t’ai toujours dit que c’était Kurt. C’est pourtant simple : K.U.R.T.

            - Mais tu sais, moi, ces noms américains m’ont toujours ennuyés, avec leur prononciation bizarre.

            - Au fait, papi, où sommes-nous ? J’ai suivi maman jusqu’au couloir des urgences et je l’ai perdu. Après un moment, j’ai poussé une porte et je t’ai trouvé là, parlant tout seul à voix haute. Au fait, pourquoi parlais-tu de Kurt ?

            - Je me remémorais des choses que j’ai vécues, tout au long de ma vie. Je repensais aux choses qui m’ont marqué. 

            - Pourquoi ? Et puis qu’est-ce que tu fais ici, avec ces appareils qui font plein de bruits. C’est quoi cette ligne verte qui bouge dans cet appareil ? J’ai vu la même à la télé. ” Il dit ceci avec une retenue soudaine.

            - “ De quoi as-tu envie Olivier maintenant ?

            - J’ai…j’ai… ”, des sanglots se mélangeaient à sa voix, “ J’ai pas envie que tu meures ”.

            - Non mon petit Olivier. Ça tu peux le vouloir, mais tu ne peux rien y faire. Et je crois que personne ne peut plus rien y faire. En ce moment même, les médecins disent à Marie qu’ils ne peuvent plus rien faire pour moi et que je vais bientôt mourir. Mais si tu savais comme j’en ai envie. La même envie pressante que ces ambulanciers : ils avaient l’air si pressé tout à l’heure…je crois qu’ils avaient juste envie de retrouver très vite ceux qu’ils aiment. Comme ces médecins tout à l’heure, ou ta maman pendant le trajet jusqu’à l’hôpital : elle ne savait pas qu’une partie de toi l’avait accompagnée, elle te croyait entièrement en train de dormir. Mais, ne sois pas triste : mon envie, c’est de voir ce qui se cache derrière cette porte, celle que l’on voit de loin, au bout de ce long couloir qu’est notre vie. Maintenant, je m’apprête à l’ouvrir, j’en suis heureux.

Aller mon petit, n’y pense plus et préoccupe-toi de cette envie pressante qui agite ton sommeil. Adieu. ” Sans chercher à comprendre les propos de Paul ,Olivier se jeta sur lui pour avoir un dernier câlin ; il arriva dans les bras de……

 

            L’ours en peluche qui dormait à côté de lui. Il ouvrit les yeux, étonné. Des bribes de souvenirs lui revenaient en mémoire, mais rien de clair. Il avait juste une envie pressante d’aller aux toilettes.

Et alors qu’il soulageait sa vessie, son grand-père répondait à son envie pressante de découvrir ce qui se cachait derrière cette porte mystérieuse qui traîne aussi au fond de votre couloir.

 

Μαιςον